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Pierre Toulhoat

Un homme de caractères


Par Armel Morgant (1950). Journaliste, écrivain, spécialiste des cultures et du patrimoine de Bretagne, collaborateur de la revue ArMen et des Cahiers de l’Iroise. Il a signé de nombreux beaux livres de référence dont ‘Toulhoat — L’œuvre de métal’ (Éditions Locus Solus, 2018), dont est extrait cet article.

‘Toulhoat — L’œuvre de métal’ , éditions Locus Solus, 2018



Le texte a pour Toulhoat une importance de premier plan. Il suffira pour s’en convaincre de lire ce qu’il a tracé sur ses bannières, sur ses vitraux et sur ses œuvres de métal pour réaliser son «souci de bien intégrer les textes dans la composition.». Généralement, il s’agit d’une phrase ou deux.




Bannière Saint Corentin (avers), 1953.
Atelier Le Minor, Pont-L’Abbé, brodeuse: Thérèse Narzul. Paroisse de Locronan.





Bannière Saint Ronan (avers), 2007.
Atelier Le Minor, Pont-L’Abbé, brodeur: Jean-Michel Pérennec. Paroisse de Locronan.


En présentant de courts paragraphes, les médailles font exception: «Toutes ces œuvres faites en Bretagne et pour nos compatriotes sont lettrées en antiques librement traitées ou en dérivées libres (également) — de l’onciale ou de la Libra — puisque cette dernière est maintenant perçue comme bretonne.» Les caractères qu’il emploie montrent à quel point il s’est toujours montré soucieux de personnaliser ses œuvres — tout comme ses outils de communication — par l’utilisation d’un lettrage dessiné de sa main. Texte et caractères sont des composantes de l’œuvre à part entière: «La médaille, par exemple, requiert un graphisme rigoureux et solidement “mis en page” (si l’on peut s’exprimer ainsi dans le cadre circulaire). Elle peut certes se passer de texte, étant expressive en soi — mais si elle en requiert, qu’il ne soit pas quelconque», écrit-il en 1996 à Fañch Le Henaff.



La poignée de l’Hôtel Gradlon, rue de Brest à Quimper.

C’est vraisemblablement aux Arts décoratifs que Toulhoat s’est forgé une véritable « culture de la lettre » dont par la suite il a su faire son miel. Il lui est arrivé, à ses débuts, d’employer la police dite «Libra», venue des Pays-Bas, communément appelée «celtique»: c’est par exemple celle que l’on retrouve sur l’affiche réalisée pour annoncer les fêtes du Bleun-Brug de Locronan, en 1949. Il est vrai qu’à l’époque, le Libra était employé communément par tout ce qui touchait peu ou prou à la production artistique bretonne.



Affiche de la fête du Bleun Brug (Fleur de bruyère) de Locronan, 1949.
Offset, 50 x 70 cm. Coll. Skritellaoueg Breizh.


Pour une affiche annonçant une exposition du musée des beaux-arts de Quimper, il fait en revanche le choix de la capitale romaine. Mais, bien vite, il ne tarde pas à élaborer des caractères qu’il trace selon sa fantaisie et les nécessités de la composition graphique. On peut, certes, parler de caractères Toulhoat sans pour autant y voir un alphabet, au sens plein du terme, dans la mesure où il ne s’est, à proprement parler, jamais engagé dans un travail de stabilisation.



Plaque pour la ville de Quimper: rue des Gentilshommes .
Décor stannifère sur carreaux de faïence, 1959.


L’art de la lettre de Toulhoat prend pour base la capitale romaine — de laquelle dérive notre alphabet actuel — que viennent métisser des caractères d’influence celtique tels qu’on les trouve par exemple en Irlande dans le Livre de Kells. Le lettrage est en perpétuelle évolution, s’adaptant à l’espace dans lequel le texte se déploie. On en retire parfois le sentiment de se trouver en face d’un travail de copiste, soucieux de gérer au mieux la surface de la page, en combinant parfois deux ou trois lettres, selon la nécessité, de façon originale.



Carte publicitaire quadrilingue pour les bijoux Toulhoat. Carte 10 x 20 cm.

Effet du hasard? C’est son œuvre ultime, la plaque fondue à la mémoire de Pierre Jakez Hélias, qui offre la meilleure approche de l’alphabet Toulhoat. Elle permet de reconstituer un alphabet auquel ne fait défaut que le x. Quoi de plus naturel, puisqu’elle est dédiée à un écrivain des plus prolixes, dont le visage s’inscrit entre les caractères d’une quinzaine de ses titres?



Depuis 2017, on peut voir cette plaque commémorative à Pierre Jakez Hélias,  au pied des remparts de Quimper sur les bords de l’Odet (et à l’entrée de l’école Pierre-Jakez-Hélias, à Pouldreuzig). C’est à Villedieu-les-poêles (50), haut-lieu de l’art campanaire, que la plaque en bronze de 1 m² a été fondue chez Cornille Havard, en deux exemplaires. Année de création 1999.

Si, à proprement parler, il n’existe donc pas de «police Toulhoat» — une police répondant à une définition géométrique très stricte, bien déterminée — il n’en demeure pas moins que Toulhoat, dans sa quête esthétique, a su développer une série de caractères qui intègrent parfaitement l’harmonie de ses œuvres graphiques.

Armel Morgant


Crédits photographiques: ©Jean-Michel Roignant, ©Fañch Le Henaff.


Repères biographiques
Pierre Toulhoat est né le 1er septembre 1923 à Kerfeunteun. Dès 1946, Il travaille pour l’atelier Le Bihan-Saluden à Quimper, en dessinant de nombreux vitraux. 1947–1951 Il étudie la sculpture à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. À partir de 1947 il produira pour la faïencerie Keraluc à Quimper, ainsi que dans le domaine des arts textiles, en dessinant foulards et projets de broderie pour la maison Le Minor de Pont-L’Abbé. Création de ses premiers bijoux, en 1948, pour Kelt, puis il fonde en 1956, avec son épouse, sa propre marque en création d’orfèvrerie “Toulhoat”. René Le Bihan, ancien conservateur du musée des beaux-arts de Brest, estime que Pierre Toulhoat “ occupait, pour la seconde moitié du XXe siècle, la place éminente tenue par Mathurin Méheut dans la première”. Il meurt à Quimper en 2014.

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• Le site des Bijoux Toulhoat